Dans son important arrêt du 12 octobre 2017 (116/2017), la Cour constitutionnelle avait décidé que les articles 319 du Code des impôts sur les revenus 1992 et 63 du Code de la TVA relatifs aux visites domiciliaires n’autorisaient pas les agents de l’administration fiscale à se procurer par la contrainte un accès aux locaux professionnels lorsque cet accès leur était refusé par le contribuable. La Cour confirmait ainsi la nécessité de disposer de l’accord du contribuable afin d’accéder aux locaux professionnels, que ceux-ci soient habités ou non.
Dans un arrêt rendu le 16 juin 2023, la Cour de cassation a décidé que si, conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le consentement du contribuable était un préalable obligatoire à la validité d’une visite domiciliaire, celui-ci devait être « présent en permanence » et qu’il était donc loisible au contribuable de se rétracter en cours de visite et de retirer son consentement.
Les faits
L’affaire qui a donné lieu à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 juin 2023 concernait un assujetti à la TVA actif dans le commerce de voitures et de camionnettes.
En 2017, l’administration fiscale avait, dans le cadre d’un contrôle TVA, effectué une visite à son domicile privé. Elle possédait, à ce titre, l’autorisation du juge de police comme le requiert l’article 63 du Code de la TVA.
L’assujetti avait d’abord autorisé les fonctionnaires à accéder à son domicile avant de changer d’avis au cours de la visite et de retirer son consentement. L’administration fiscale avait poursuivi la visite estimant que, le consentement ayant été donné au début de la visite, le contribuable ne pouvait ensuite se rétracter.
Il importe de préciser que, sur le plan probatoire, les échanges entre l’administration fiscale et le contribuable ressortaient d’enregistrements audio réalisés par ce dernier au cours de la visite.
L’arrêt de la Cour d’appel de Gand du 20 avril 2021
La Cour d’appel de Gand avait estimé que l’autorisation donnée par le juge de police prévalait sur l’éventuel consentement du contribuable. Dès lors que cette autorisation d’accès aux locaux avait été donnée, il importait donc peu que le contribuable donne encore son consentement.
Pour rappel, les articles 319 du CIR 92 et 63 du Code de la TVA prévoient qu’une autorisation du juge de police est requise en vue de l’accès à des locaux habités et que cet accès ne peut en toute hypothèse être autorisé que de cinq heures du matin à neuf heures du soir.
Selon la Cour, le simple fait que le contribuable n’ait pas donné ou maintenu son consentement n’implique pas nécessairement que les fonctionnaires du fisc auraient eu recours à la coercition.
La Cour ne considérait pas non plus que les droits de la défense ou les droits fondamentaux du contribuable avait été violés en raison de cette visite domiciliaire non consentie ou que celle-ci ait été déraisonnable ou disproportionnée.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 juin 2023
Se fondant sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, la Cour confirme que les fonctionnaires dûment habilités ne peuvent accéder aux locaux professionnels habités et, a fortiori, au domicile privé d’un contribuable sans son accord. En outre, l’autorisation du juge de police est spécifiquement requise mais celle-ci ne prévaut pas sur le consentement du contribuable et ne s’y substitue pas.
La Cour de cassation précise encore les modalités de ce consentement en indiquant que celui-ci doit être présent en permanence. Le retrait du consentement par le contribuable empêche donc les agents contrôleurs de poursuivre leur visite.
Conclusions
Les visites domiciliaires fiscales illustrent la complexité de la coexistence du principe de collaboration du contribuable et des droits fondamentaux au respect de sa vie privée.
Si l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 octobre 2017 était déjà venu confirmer que le consentement du contribuable constituait un préalable indispensable à toute visite de locaux professionnels, qu’ils soient habitués ou non, l’arrêt rendu par la Cour de cassation reconnaît au contribuable le droit de ne plus consentir, c’est-à-dire de retirer son consentement. En pareil cas, la visite domiciliaire ne peut plus se poursuivre.
C’est en quelque sorte un outil de contrôle qui est conféré au contribuable afin d’imposer un exercice correct et proportionné du droit de visite. Ainsi, si le contribuable a le sentiment d’être victime d’une « pêche aux informations » ou de tout autre exercice disproportionné du droit de visite par rapport au but poursuivi, il pourra à tout moment retirer son consentement et obliger les fonctionnaires de l’administration fiscale à quitter les lieux.
Dans pareille situation, l’on ne peut évidemment que suggérer au contribuable de se ménager la preuve du retrait de son consentement, soit en le faisant acter par les fonctionnaires de l’administration fiscale qui y seront probablement peu enclins, soit en se réservant la preuve par un enregistrement comme dans le cas d’espèce.
Bien que rendu dans une affaire visant des locaux « habités », les conclusions de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 juin 2023 peuvent être étendues à toute visite de locaux professionnels, l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 12 octobre 2017 ayant affirmé le principe du consentement préalable lors de toute visite quelle qu’elle soit.
Enfin, aux contribuables téméraires qui n’accorderaient pas leur consentement à une visite de locaux ou le retireraient, l’on rappellera que le non-respect du droit d’accès prévu à l’article 63 du Code de la TVA peut entraîner une amende fiscale non proportionnelle de 50 à 5.000 euros par infraction (article 70, § 4 du Code de la TVA) et qu’une amende peut également être imposée en vertu de l’article 445, alinéa 1er, du CIR 1992.
En outre, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2022, l’administration fiscale peut également, sur la base de l’article 381 du CIR 92 ou de l’article 92ter du Code de la TVA, requérir du juge compétent la condamnation du contribuable au paiement d’une astreinte.
Ceci promet donc encore de beaux débats.
François COLLON
Avocat au barreau de Bruxelles