Dans le prolongement de ses précédents arrêts, la Cour constitutionnelle a, dans quatre arrêts rendus le 11 janvier 2024 encore annulé plusieurs aspects des législations fédérale, wallonne, bruxelloise et de la Communauté française qui transposent la directive EU 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018, plus connue sous le nom de « DAC 6 ».
Si le but de cette directive, qui est de « réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables », est certes louable, sa mise en œuvre est critiquable notamment en ce qu’elle porte atteinte au secret professionnel de l’avocat.
1.
La directive vise à instaurer un mécanisme de déclaration des dispositifs fiscaux internationaux dits « agressifs » par les « intermédiaires», ceux-ci étant définis comme les personnes qui conçoivent, commercialisent ou organisent de tels dispositifs, les mettent à disposition ou en gèrent la mise en œuvre. Au sein du barreau, la directive concerne donc au premier chef nos confrères fiscalistes.
La directive prévoit toutefois la possibilité pour les Etats Membres de dispenser les intermédiaires lorsque « l’obligation de déclaration serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national dudit Etat Membre».
A cet égard, il faut saluer les efforts des Ordres communautaires belges qui ont à plusieurs reprises, dans le cadre de l’élaboration de la loi de transposition, rencontré l’administration fiscale et le cabinet du Ministre des Finances, en leur demandant de faire usage de la possibilité de dispense accordée par la directive et de veiller, dans le cadre de la transposition, à la sauvegarde du secret professionnel de l’avocat.
Il est regrettable toutefois que la loi belge du 20 décembre 2019 n’ait rencontré qu’imparfaitement ces souhaits.
2.
Se fondant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui aborde le secret professionnel sur la base du droit au procès équitable et non sur celle de la protection de la vie privée, la directive considère, comme en matière de règles préventives du blanchiment, que le secret professionnel de l’avocat ne couvrirait pas la préparation et l’exécution de certaines opérations. Le secret ne protège que le conseil qui relève de la détermination de la situation juridique d’un contribuable ou de la défense de ce dernier dans le cadre d’une action en justice.
Comme on l’a déjà indiqué, la directive laisse toutefois aux Etats membres la possibilité de dispenser des intermédiaires de leurs obligations de déclaration lorsque celle-ci serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national. La Belgique a fait usage de cette faculté.
L’avocat tenu au secret professionnel doit ainsi informer les autres intermédiaires concernés (experts-comptables, banquiers, etc.) qu’il ne peut respecter son obligation de déclaration et que celle-ci leur incombe donc. En l’absence d’autres intermédiaires, il doit informer le client lui-même et lui signaler l’obligation de déclaration qui lui incombe. A défaut de ce faire, l’avocat ne peut invoquer valablement son secret professionnel et s’abstenir de déclarer.
Par ailleurs, le secret professionnel de l’avocat ne peut jamais dispenser la déclaration de certains dispositifs dits « commercialisables », ceux-ci étant définis comme les dispositifs transfrontières conçus, commercialisés, prêts à être mis en œuvre, ou mis à disposition aux fins de sa mise en œuvre, sans avoir besoin d’être adaptés de façon importante.
3.
Par son arrêt n° 103/2022 du 15 septembre 2022, la Cour constitutionnelle, saisie d’un recours en annulation, introduit notamment par Avocats.be, de la loi du 20 décembre 2019 transposant la Directive (UE)2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la Directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontaliers devant faire l’objet d’une déclaration (« DAC6 ») a, en des termes dépourvus de toute ambiguïté, rappelé que :
« Le secret professionnel de l’avocat est une composante essentielle du droit au respect de la vie privée et du droit à un procès équitable. Le secret professionnel de l’avocat vise en effet principalement à protéger le droit fondamental qu’a la personne qui se confie, parfois dans ce qu’elle a de plus intime, au respect de sa vie privée. Par ailleurs, l’effectivité des droits de la défense de tout justiciable suppose nécessairement qu’une relation de confiance puisse être établie entre lui et l’avocat qui le conseille et le défend. Cette nécessaire relation de confiance ne peut être établie et maintenue que si le justiciable a la garantie que ce qu’il confiera à son avocat ne sera pas divulgué par celui-ci. Il en découle que la règle du secret professionnel imposé à l’avocat est un élément fondamental des droits de la défense» (arrêt du 15 septembre 2022, considérant B.48.4).
La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle les informations connues de l’avocat à l’occasion de l’exercice des activités essentielles de sa profession, à savoir la défense ou la représentation en justice du client et le conseil juridique, même en dehors de toute procédure judiciaire, demeurent couvertes par le secret professionnel.
La Cour constitutionnelle a ainsi annulé les dispositions légales prévoyant l’obligation de déclaration périodique des « dispositifs commercialisables » par des professionnels tenus à un secret professionnel pénalement sanctionné en ce qu’ils ne pouvaient pas invoquer, selon la loi de transposition de la directive, ledit secret pour se soustraire à cette obligation.
De plus, la Cour a sursis à statuer et a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union européenne notamment quant à la compatibilité de DAC 6 avec le droit au respect de la vie privée en ce qu’un professionnel tenu au secret professionnel qui pourrait invoquer celui-ci serait obligé de notifier tout autre intermédiaire ou le contribuable lui-même des obligations de déclaration qui leur incombe, et ce, en violation de son secret professionnel.
4.
Dans un arrêt du 8 décembre 2022 (affaire C-694/20), à la suite d’un recours introduit auprès de la Cour constitutionnelle belge relatif au décret flamand de transposition de la directive, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que la notification, par des avocats, constituait une ingérence grave dans le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et qu’elle n’était pas proportionnée à l’objectif d’intérêt général poursuivi par la Directive DAC 6.
La Cour a estimé qu’une telle notification violait le droit au respect de la vie privée et le secret professionnel des avocats en ce que celle-ci n’était nullement essentielle afin d’assurer la déclaration desdits dispositifs. Par ailleurs, elle a également souligné que la déclaration, par des « intermédiaires » tiers notifiés, de l’identité et de la consultation de l’avocat aux autorités publiques n’est nullement proportionnée aux objectifs poursuivis.
5.
Par quatre arrêts du 11 janvier 2024, la Cour constitutionnelle a encore annulé plusieurs aspects des législations fédérale, wallonne, bruxelloise et de la Communauté française qui transposent la Directive DAC 6.
La Cour annule :
- dans les législations wallonne et de la Communauté française : les dispositions qui imposent une obligation de déclaration rétroactive,
- dans les législations wallonne, bruxelloise et de la Communauté française : l’impossibilité, pour un intermédiaire tenu au secret professionnel pénalement sanctionné, de se prévaloir du secret professionnel en ce qui concerne l’obligation de déclaration périodique de dispositifs commercialisables.
- dans les législations fédérale, wallonne, bruxelloise et de la Communauté française : l’obligation pour un avocat-intermédiaire qui invoque le secret professionnel d’informer un autre intermédiaire qui n’est pas un client.
6.
Les quatre arrêts rendus le jeudi 11 janvier 2024 confirment sa jurisprudence antérieure en ce qui concerne le dispositif DAC 6 particulièrement en ce qui concerne les avocats tenus au secret professionnel.
L’atteinte que portaient la directive DAC 6 et la loi de transposition au secret professionnel de l’avocat a été justement condamnée par la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de l’Union européenne.
Attendons maintenant la réponse de la Cour de justice de l’Union européenne sur les questions préjudicielles encore pendantes.
François Collon
Collon, avocats en droit fiscal
Avenue Emile De Mot, 9 – 1000 Bruxelles
E-mail : fcollon@collon-law.be – Web : www.collon-law.be
Tél. fixe : +32 2 880 07 22 – GSM : + 32 477 56 78 65