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Procédure fiscale : notification d’indices de fraude et annulation des cotisations

A l’occasion d’un arrêt rendu le 6 octobre 2023, la cour d’appel de Mons a procédé à un utile et très complet rappel des règles de procédure fiscale qui s’imposent à l’administration fiscale dans le cadre d’un contrôle et des conséquences que le non-respect de celles-ci peut entraîner.

Les faits de la cause

Dans le cadre du contrôle fiscal de la situation de Monsieur A, l’administration a adressé, par courrier du 14 avril 2016, une demande de renseignements à l’employeur de ce dernier. Celle-portait sur les exercices d’imposition 2010 à 2016 (années de revenus 2009 à 2015). L’employeur a répondu à cette demande par courrier du 10 mai 2016.

Par courrier du 15 juillet 2016, l’administration fiscale a ensuite adressé à Monsieur A une demande de renseignements, l’invitant à lui faire parvenir une copie des extraits bancaires de tous ses comptes en banque ouverts en Belgique, pour la période allant du 1er janvier 2013 au 5 janvier 2016.

Par courrier du 22 septembre 2016, l’administration fiscale a adressé une demande de renseignements à la banque B portant sur les années de revenus 2013 à 2015 et mentionnant sous rubrique un compte bancaire ouvert au nom de Monsieur A. En réponse à cette demande, la banque B a non seulement communiqué les informations relatives aux comptes visés mais également des informations portant sur deux autres comptes ouverts au nom de Monsieur A.

Par courrier du 22 septembre 2016 également, l’administration fiscale a adressé à Monsieur A une notification d’indices de fraude portant sur les exercices d’imposition 2014 à 2016.

Enfin, par des courriers du 16 novembre 2016, l’administration fiscale a adressé à Monsieur A, deux notifications d’imposition d’office, l’une portant sur les exercices d’imposition 2010 à 2013 et l’autre portant sur les exercices d’imposition 2014 à 2016, chacune prévoyant un accroissement d’impôt de 100 %.

Nonobstant le désaccord exprimé à la suite de ces notifications d’imposition d’office, l’administration fiscale a procédé à l’enrôlement de toutes cotisations portant sur les exercices d’imposition 2010 à 2016 conformément aux notifications d’imposition d’office.

Comme on le verra ci-après, le contribuable a obtenu l’annulation de toutes ces cotisations.

La notification préalable d’indices de fraude pour étendre le délai d’investigation

Conformément à la législation applicable à l’époque des faits, l’administration fiscale peut mener des investigations pendant trois ans à partir du 1er janvier désignant l’exercice d’imposition concerné (délai ordinaire d’imposition prévu par l’article 354, alinéa 1er du CIR92), sans devoir notifier préalablement au contribuable des indices de fraude fiscale.

En 2016, l’administration était donc en droit de mener un contrôle portant sur les exercices d’imposition 2014, 2015 et 2016 sans devoir procéder à une quelconque notification.

Les investigations de l’administration fiscale ne peuvent toutefois être effectuées, après l’expiration du délai de trois ans, pendant un délai supplémentaire de quatre ans (délai supplémentaire d’imposition prévu par l’article 354, alinéa 2 du CIR92) qu’à la condition que l’administration ait notifié préalablement au contribuable, par écrit et de manière précise, les indices de fraude fiscale qui existent pour la période concernée.

Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, la notification préalable des indices de fraude visée à l’article 333, alinéa 3 du CIR92 « est prescrite à peine de nullité de l’imposition qui est établie en raison des résultats de ces investigations» (Cass., 16 février 2016, F.14.0216.F).

En l’absence de notification préalable d’indices de fraude, les investigations menées par l’administration pour les exercices d’imposition 2010 à 2013 sont donc illégales et doivent nécessairement mener à l’annulation des cotisations.

Pire pour l’administration fiscale, cette annulation doit s’étendre aux cotisations des exercices 2014 à 2016 dès lors que les notifications d’imposition d’office portant sur ces exercices se fondent ou font référence à des informations ou des documents relatifs aux années 2009 à 2012 qui ont été obtenus irrégulièrement.

Par conséquent, tant les cotisations établies pour les exercices d’imposition 2010 à 2013 que celles afférentes aux exercices d’imposition 2014 à 2016 doivent être annulées dès lors qu’elles se fondent, même partiellement, sur des éléments obtenus illégalement en violation de l’article 333, alinéa 3 du CIR 92.

La notification préalable d’indices de fraude dans le cadre d’une enquête bancaire

L’administration fiscale a le droit de déroger au principe du secret bancaire par l’envoi à un établissement financier d’une demande de renseignements relative à un contribuable, dans deux cas de figure exclusivement, à savoir :

  • si elle dispose d’un ou de plusieurs indices de fraude fiscale ;
  • si elle envisage de procéder à une taxation indiciaire.

Une procédure particulière doit être respectée. Un fonctionnaire du grade de directeur (depuis le 16 mai 2016, de conseiller), désigné à cet effet par le Ministre des Finances, doit autoriser un fonctionnaire ayant au moins un grade d’inspecteur (depuis le 16 mai 2016, d’attaché) à adresser une demande à l’établissement financier.

Cette autorisation ne peut être accordée que si deux conditions sont remplies, à savoir :

  • l’agent qui mène l’enquête doit avoir réclamé au contribuable les informations et données relatives aux comptes visés, par le truchement d’une demande de renseignements, en stipulant clairement que le secret bancaire pourra être levé par application de l’article 322, §2 du CIR92 si le contribuable dissimule les informations demandées ou s’il refuse de les communiquer ;
  • l’enquête effectuée doit, soit impliquer une éventuelle taxation indiciaire, soit avoir fourni un ou plusieurs indices de fraude fiscale et il faut qu’existent des présomptions que le contribuable dissimule des données auprès d’un établissement financier ou qu’il refuse de les communiquer. L’administration fiscale doit, en outre, informer le contribuable de l’indice ou des indices de fraude fiscale ou des éléments sur la base desquels elle estime pouvoir procéder à une taxation indiciaire et qui justifient qu’une demande de renseignements soit adressée à un établissement financier. Ladite notification doit se faire par lettre recommandée adressée au contribuable simultanément à l’envoi de la demande de renseignements à l’établissement financier.

Dans un un arrêt prononcé le 14 février 2013 (n° 6/2013), la Cour constitutionnelle a précisé que :

«L’administration fiscale fixe, en vertu de l’article 322, § 1er, alinéa 1er du CIR 1992, le délai de réponse accordé à l’établissement financier concerné. Pendant ce délai, qui doit être raisonnable, le contribuable est dès lors en mesure de réagir et de contester la légalité de cette demande, selon le droit commun, devant un juge qui pourra vérifier notamment la pertinence et la suffisance des indices de fraude fiscale ou des éléments factuels laissant apparaître une distorsion entre les revenus déclarés du contribuable et son train de vie et qui pourra s’assurer que la demande de renseignements ne va pas au-delà de ce qui est utile à l’établissement de la juste imposition, compte tenu, entre autres, des réponses qui ont éventuellement déjà été fournies par le contribuable lui- même » (B.11.4).

La notification d’indices de fraude prévue par l’article 333/1, § 1 du CIR 92 en matière d’enquête bancaire se distingue donc de la notification d’indices de fraude prévue par l’article 333, alinéa 3 du CIR 92 prévue pour permettre d’étendre les délais d’investigation (voir ci-avant)

La notification d’indices de fraude conformément à l’article 333/1, § 1 du CIR92 doit contenir la précision que ces indices justifient, à l’estime de l’administration, qu’une demande de renseignements soit adressée à un établissement financier, impliquant la levée du secret bancaire.

En l’espèce, si Monsieur A s’est bien vu notifier des indices de fraude le 22 septembre 2016, cette notification ne contient aucune référence à la demande de renseignements adressée à un établissement financier. Elle ne permet donc pas au contribuable d’être informé que l’administration fiscale a fait application de l’article 322, § 2 du CIR92, le privant d’un moyen de défense contre une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, reconnu par la Cour constitutionnelle. Les investigations menées auprès de la banque B sont donc également illégales et doivent mener à l’annulation des cotisations qui se fondent ou font références à des éléments tirés des extraits de compte bancaire transmis par la banque.

Conclusions

L’arrêt rendu le 6 octobre 2023 par la cour d’appel de Mons doit être salué en ce qu’il procède à une parfaite application des règles de procédure fiscale dont le respect s’impose à l’administration.

L’arrêt confirme à juste titre la distinction à laquelle il y a lieu de procéder en matière de notifications d’indices de fraude. Celles-ci ne sont pas conçues de la même manière qu’il s’agisse d’étendre le délai d’investigation ou de procéder à une enquête bancaire. L’administration devra donc y être particulièrement attentive.

Enfin, et pour autant que de besoin, l’on rappellera que les règles de procédure fiscale ont été assez profondément modifiées à la faveur de la loi du 20 novembre 2022. Il faudra donc également, pour le praticien, avocat ou juriste d’administration fiscale, prêter une attention particulière à l’application de la loi dans le temps.

François Collon

Collon, avocats en droit fiscal

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