La loi du 28 décembre 2023 portant des dispositions fiscales diverses modifie l’article 362bis du Code des Impôts sur les Revenus (ci-après « CIR 92 ») avec d’importants conséquences pour les sociétés belges qui ont souscrit, ou souhaitent souscrire, un contrat de capitalisation de la « branche 6 ».
1.
Qu’est-ce qu’un contrat de « branche 6 » ?
Le contrat de capitalisation de « branche 6 » est un produit financier proposé par certaines compagnies d’assurances aux sociétés belges qui souhaitent placer leurs excédents de liquidité. Ce contrat permet d’investir une somme d’argent sur une durée indéterminée, avec comme objectif de percevoir à l’échéance un capital majoré d’un rendement.
En pratique, le souscripteur du contrat, en échange d’un ou plusieurs versements effectués auprès de la compagnie, dispose d’une créance sur celle-ci, dont le montant varie en fonction de l’évolution de la valeur des placements effectués par la compagnie, conformément au profil d’investissement du preneur d’assurance.
Il n’y a aucune garantie de capital ou de rendement dans un contrat de « branche 6 ». Le contrat suit la valeur de l’actif sous-jacent et sa valeur peut évoluer à la hausse ou à la baisse.
2.
Un régime fiscal jusqu’ici incertain…
Sur le plan fiscal, la créance détenue par le preneur répond à la définition de créance telle qu’elle est visée à l’article 19, § 1er, 1° du CIR 92 de sorte que les revenus doivent être qualifiés d’intérêts.
Ce traitement a été expressément reconnu à l’occasion de plusieurs décisions rendues par le Service des décisions anticipées à l’occasion de demandes formulées par les compagnies d’assurances commercialisant ce type de produits en Belgique.
L’application de l’article 362bis du CIR 92 s’est également posée concernant ces produits.
3.
Avant sa modification par la loi du 28 décembre 2023, cet article disposait que :
«Dans le chef des contribuables qui affectent à l’exercice de leur activité professionnelle des capitaux non représentés par des actions ou parts, la partie des intérêts courus de ces capitaux ou la partie des indemnités pour coupon manquant qui se rapporte à des intérêts courus de tels capitaux en vertu d’une convention constitutive de sûreté réelle ou d’un prêt, afférente à une période imposable déterminée, est considérée comme un revenu de cette période, même lorsque les intérêts ou les indemnités sont encaissés ou obtenus au cours d’une période ultérieure.»
En d’autres termes, cet article impose de déclarer chaque année les revenus capitalisés même si ces revenus n’ont pas été perçus.
Dans le cas de contrat de capitalisation de la « branche 6 », l’application de l’article 362bis obligerait donc les sociétés souscrivant à ce type de produits de payer l’impôt des sociétés sur les intérêts courus alors même qu’aucun revenu n’aurait été effectivement perçu.
4.
… en raison d’une valse-hésitation du Service des décisions anticipées
Se fondant sur une décision individuelle rendue par la Commission des normes comptables (DIDC 2021/03 – décision du 10 février 2021) qui avait jugé qu’il n’était pas possible de reconnaître annuellement en produits des intérêts courus sur la durée de vie du contrat de la « branche 6 », vu leur caractère incertain jusqu’à l’échéance du contrat, une décision anticipée du 1er juin 2021 octroyée à une compagnie d’assurance prévoyait que l’article 362bis du CIR ne s’appliquait pas au contrat de « branche 6 ».
Néanmoins, de façon très surprenante, le Service des décisions anticipées revenait sur sa position dans une décision du 14 février 2023 par laquelle il considérait que les contrats de la « branche 6 » devait bien être soumis à l’article 362bis du CIR 92.
5.
Une nécessaire intervention législative…
La loi du 28 décembre 2023 portant des dispositions fiscales diverses modifie l’article 362bis du Code des Impôts sur les Revenus (ci-après « CIR 92 ») qui prévoit désormais que :
« § 1er. Dans le chef des contribuables qui affectent à l’exercice de leur activité professionnelle des capitaux non représentés par des actions ou parts, la partie des intérêts courus de ces capitaux ou la partie des indemnités pour coupon manquant qui se rapporte à des intérêts courus de tels capitaux en vertu d’une convention constitutive de sûreté réelle ou d’un prêt, afférente à une période imposable déterminée, est considérée comme un revenu de cette période, même lorsque les intérêts ou les indemnités sont encaissés ou obtenus au cours d’une période ultérieure.
Par dérogation à l’alinéa précédent, dans le chef des cessionnaires, preneurs de gage ou emprunteurs visés à l’article 19, § 2, alinéa 3, le montant total des intérêts qui sont encaissés ou obtenus au cours d’une période imposable déterminée dans le cadre de leur activité professionnelle, est considéré comme un revenu de cette période imposable.
§ 2. La partie des intérêts courus visée au § 1er, afférente à un contrat de capitalisation est égale à la différence positive entre d’une part la valeur de la créance représentative de ce contrat de capitalisation dont dispose la société sur une entreprise d’assurance au terme de la période imposable et d’autre part, les montants versés au titre de prime en exécution de ce contrat.
De la différence déterminée conformément à l’alinéa 1er, est toutefois déduite la partie des intérêts courus taxés telle que déterminée conformément à l’alinéa 1er sur la base de la valeur de la créance au terme de la période imposable précédente pour ce contrat.
Pour l’application de l’alinéa 1er, le montant de la prime est réduit proportionnellement en cas de rachat partiel du contrat. »
6.
Le législateur a donc complété l’article 362bis du CIR 92 en vue d’en préciser l’application.
L’objectif du législateur vise précisément à clarifier le traitement fiscal des intérêts courus qui proviennent ou peuvent provenir de contrats de capitalisation. Il clarifie notamment l’impact d’une diminution de la valeur du contrat de capitalisation sur la base imposable en prévoyant que la diminution ultérieure de la valeur de la créance donne lieu à une détaxation.
7.
En pratique, il conviendra de procéder annuellement à l’évaluation du contrat et d’examiner si celui-ci a évolué à la hausse ou à la baisse. La hausse, pour autant qu’elle aboutisse à une valeur supérieure à la valeur d’investissement, sera imposable à l’impôt des sociétés et la baisse sera déductible.
Prenons par exemple un contrat de « branche 6 » souscrit pour un montant de 500.000 EUR en année 1.
L’année 2, le contrat évolue à la hausse et a une valeur de 520.000 EUR en fin d’année.
Cette hausse se confirme en année 3 et le contrat clôture avec une valeur de 540.000 EUR.
En fin d’année 4 toutefois, le contrat ne vaut plus que 530.000 EUR.
En année 5, le souscripteur procède à un rachat partiel d’un montant de 100.000 EUR, le contrat clôture avec une valeur de 440.000 EUR.
Sur le plan fiscal, l’application de l’article 362bis du CIR 92 aboutira au résultat suivant :
- Année 2 : 520.000 (valeur de la créance) moins 500.000 (montant investi) = 20.000 imposables ;
- Année 3 : 540.000 (valeur de la créance) moins 500.000 (montant investi) : 40.000 dont les 20.000 déjà imposés doivent être déduits = 20.000 imposables ;
- Année 4 : 530.000 (valeur de la créance) moins 500.000 (montant investi) : 30.000 dont les 40.000 déjà imposés doivent être déduits = 10.000 déductibles ;
- Année 5 : 440.000 (valeur de la créance) moins 400.000 (montant investi) : 40.000 dont les 30.000 déjà imposés doivent être déduits = 10.000 imposables.
Comme on l’a vu, l’application de l’article 362bis a pour effet d’obliger les sociétés souscrivant à des contrats de « branche 6 » de payer l’impôt des sociétés sur les intérêts courus alors même qu’aucun revenu n’aurait été effectivement perçu, ce qui n’est évidemment pas idéal puisqu’il conviendra de disposer par ailleurs de liquidités pour procéder au paiement de l’impôt. A défaut, seul un rachat partiel du contrat permettra de payer l’impôt, ce qui nuira de tout évidence à son rendement.
8.
…qui diminue considérablement l’attrait pour les contrats de « branche 6 »
Après la modification de l’article 362bis du CIR 92, il est permis de conclure que les contrats de « branche 6 » offrent moins d’attraits sur le plan fiscal et présentent même certaines contraintes.
L’horizon de placements offerts aux sociétés étant assez réduit, il ne faut néanmoins pas nécessairement y renoncer.
Le contrat de « branche 6 » constitue encore une alternative fiscale intéressante aux actions dont les plus-values sont imposables (hormis pour les SICAV-RDT) et les moins-values non déductibles.
En outre, le contrat de « branche 6 » offre également une grande facilité de traitement sur le plan comptable. Le contrat peut en effet être comptabilisé sous une seule et même rubrique comptable et ce, peu importe le nombre et le type d’actifs sous-jacents.
De quoi, sans doute, ne pas trop vite s’en détourner…
François Collon
Collon, avocats en droit fiscal
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